Et si le grand débat bessonien sur l’identité nationale n’était finalement qu’un piège à c… dans lequel l’UMP est tombée après l’avoir tendu ? L’affaire semblait imparable : une majorité gouvernementale «décomplexée» «posait les vrais problèmes» et se faisait la garante d’une certaine intégrité française face aux menaces supposées de la mondialisation et - surtout - de l’immigration. L’opposition était embarrassée et l’extrême droite concurrencée sur son propre terrain. Quinze jours plus tard, la belle machine a dérapé. Organisés sous le contrôle des préfets, comme sous le Second Empire, les débats n’attirent que quatre pelés et trois tondus (lire page 4) plus ou moins xénophobes ; la majorité se divise et les plus lucides, tels Alain Juppé ou Jean-Pierre Raffarin, expriment tout haut leurs doutes sur cette équipée qui fait le jeu de l’extrémisme.
étriquée. Le vote suisse contre la construction de minarets vient soudain rendre amère et inquiétante une discussion aux apparences académiques qui tourne au règlement de comptes anti-musulman. Elle révèle l’angoisse d’une partie de l’opinion, prête à céder aux sirènes stridentes de l’intolérance, que le Front national, s’il est habile, peut finalement rallier à son douteux panache. Après de longues journées d’hésitation, la gauche, au lieu d’observer un silence gêné, s’est ressaisie pour rappeler sa propre conception de la nation, ouverte et évolutive, là où celle de Besson est fixe et frileuse. Aiguillonnée, Martine Aubry a prononcé sur le sujet son meilleur discours, opposant avec talent et hauteur son idée de la France, qui fait apparaître celle de l’UMP soudain minable et étriquée. CommeLibération l’a écrit d’emblée, il eût été absurde de rejeter toute discussion. C’est le cadre fixé par Eric Besson qui doit être dénoncé, tout comme l’intitulé de son ministère, «Immigration et identité nationale», qui fait peser un soupçon à relents xénophobes sur les étrangers présents sur le territoire et donne aux préjugés les plus dommageables un statut officiel.
Pour le reste, il est évident que l’identité française existe, admirable ou détestable selon les périodes et qu’il est légitime d’en parler. A moins de considérer que la France est le seul pays au monde à ne pas avoir de personnalité, telle une zone blanche sur la carte de cette diversité culturelle qu’on célèbre si souvent par ailleurs. Ceux qui nient toute spécificité française sont souvent les mêmes qui plaident pour la laïcité «à la française», le service public «à la française», ou qui défendent les dispositifs de protection du cinéma français ou encore les quotas de chanson française imposés aux radios. Née à Valmy, illustrée par les révolutionnaires de 1789 et 1793, par les Parisiens révoltés de la Commune ou encore par Jaurès ou Jean Moulin, l’idée d’une «nation française» a souvent joué un rôle progressiste dans l’Histoire. Tout comme elle a aussi servi à couvrir les crimes de la Collaboration ou ceux de la colonisation. Pour les uns, elle est une entité immobile, héritée du passé, «de la terre et des morts», selon le mot de Barrès, qu’il faut accepter telle quelle et défendre contre les corruptions étrangères. Cette conception nationaliste a débouché sur l’exaltation guerrière et sur les pires mesures discriminatoires à l’encontre des minorités. En désignant l’immigré comme une menace, une partie de l’UMP s’y rattache nolens volens.
non-dit. Toute autre est la conception républicaine, qui repose sur un héritage choisi, soumis à inventaire, et sur une adhésion politique aux principes des droits de l’homme, au contrat social, qui postule que l’ouverture sur l’étranger est une source d’enrichissement plus que de trouble. C’est là qu’on arrive au non-dit à peine dissimulé de toute cette affaire : la place de l’islam dans la société française, devenu par l’effet de l’immigration la deuxième religion du pays. Les initiateurs du débat voulaient user de la peur pour accroître leurs soutiens. Ils s’aperçoivent un peu tard qu’ils ont ouvert une boîte de Pandore. Certains y trouvent l’occasion d’exprimer une intolérance jusque-là occultée par le discours calibré des responsables. Républicaine, une partie de l’UMP craint désormais les dérapages qui nourriront le Front national. Mais là encore, la négation bien-pensante des difficultés ne sert à rien. La seule stratégie consiste à rechercher avec les minorités religieuses ou culturelles une identité commune. Pour mettre les points sur les i : l’islam fait et fera partie intégrante de l’identité française contemporaine, comme le protestantisme et le judaïsme. Ce qui passera par des conflits mais débouchera sur un enrichissement : l’identité multiple est l’avenir du monde. Les efforts seront partagés. Les musulmans doivent se couler dans les principes de la laïcité républicaine. La République doit en échange leur garantir une place égale et juste, comme aux autres citoyens. Une partie de l’opinion s’y refuse : telle est la bataille à venir. C’est le seul sens légitime de cette discussion, à la fois douloureuse et positive.