La crise financière née cet été s'éternise. Provoquée par la faillite d'un segment de marché a priori circonscrit et localisé, celui du crédit hypothécaire à risque (subprime mortgage) aux Etats-Unis, elle menace la stabilité financière de la planète.
Le marché, qui regorgeait de liquidités, s'est subitement asséché. Jeudi 6 septembre, le secrétaire américain au Trésor, Henry Paulson, a estimé que cette crise mettrait "des semaines, peut-être quelques mois" à se résorber.
"Pourquoi personne ne parvient à localiser la faille ? Comment est-on arrivé à cette situation paradoxale ? Nous manquons d'explications", constate Philippe Brossard, économiste chez Euler Hermes. De fait, la crise a une part d'irrationalité qui semble auto-alimentée par les inquiétudes des investisseurs.
De quoi le marché a-t-il peur ? Les investisseurs abhorrent l'incertitude. Et depuis le début de la crise, ils naviguent à vue. Les banques du monde entier ont investi dans des titres adossés au marché du subprime et sont susceptibles d'enregistrer d'importantes pertes. Mais personne ne sait dans quelle proportion.
Les produits financiers de "titrisation" où sont logés lesdits subprime sont complexes. Ils mêlent souvent ces crédits explosifs avec des titres de bonne qualité. In fine, les produits dangereux deviennent quasiment invisibles. En outre, les montages financiers permettent souvent aux banques de ne pas comptabiliser ces titres dans leur bilan. "Il est impossible de chiffrer les pertes. Le marché les découvre au fur et à mesure mais ne voit pas le bout du tunnel", indique René Desfossez, stratège chez Natixis. En attendant,"tout le monde se regarde en chiens de faïence", témoigne un courtier.
Les rumeurs délétères s'accumulent. Les banques qui empruntent sont suspectées de le faire pour renflouer des fonds de subprime. Ainsi de Deutsche Bank qui a lancé il y a dix jours un emprunt obligataire à dix ans. Le 31 août, le marché redoutait d'éventuelles difficultés de Barclays qui avait emprunté 1,6 milliard de livres sterling (2,36 milliards d'euros) auprès de la Banque d'Angleterre. Mercredi, les investisseurs s'interrogeaient sur l'exposition de Citigroup, la première banque mondiale en terme de capitalisation boursière.
Ce climat de défiance se traduit sur le marché interbancaire où les banques s'empruntent mutuellement de l'argent. La prime de risque exigée y est anormalement élevée. En Europe, des grandes banques, a priori en bonne santé financière, "empruntent (à long terme sur le marché obligataire) au même prix qu'un pays émergent", s'étonne un courtier.
Alan Greenspan, l'ancien président de la Réserve fédérale américaine (Fed), a évoqué jeudi des similitudes entre la crise actuelle et celle de 1998 (à la suite de la faillite du fonds spéculatif LTCM) et le krach boursier de 1987. Le "sage" fait même un parallèle avec la crise observée lors de la chute des prix des terres en 1837 et la panique bancaire de 1907 !
Les banques sont-elles menacées de faillite ? Les banques allemandes IKB et Sachsen LB ont illustré la gravité de la crise. Elles ont frôlé la faillite du fait de leurs investissements aux Etats-Unis. Le régulateur boursier allemand, la BaFin, a alors estimé que le pays était "menacé de la plus grave crise financière depuis 1931".
Pour autant, peu d'analystes imaginent que le système bancaire mondial soit menacé. "Les risques sont sans doute surestimés", juge Cyril Regnat chez Natixis. Les grandes banques ont cumulé suffisamment de profits aux cours des dernières années pour éponger d'éventuelles pertes.
Néanmoins, "les chiffres qui circulent effraient", concède un courtier. Mardi, une note de Barclays mentionnait le montant de 1 400 milliards de dollars (1 023 milliards d'euros) de produits financiers que les banques pourraient devoir refinancer. Et plus la crise s'aggrave plus ces montants grimpent.
Les banques centrales peuvent-elles résorber la crise ? Les autorités monétaires ne peuvent que "soulager" le système bancaire en ouvrant temporairement des facilités de crédit. La plupart des banques centrales "injectent" régulièrement depuis début août des dizaines de milliards d'euros dans le circuit monétaire. Mais ces mesures ne sont que temporaires. Les sommes déversées sont en fait des prêts exceptionnels accordés aux banques à 24 heures, à une semaine, ou à trois mois. Et les banques ont déjà ou vont rembourser ces crédits. Pour avoir plus d'impact, la Fed a, le 17 août, abaissé l'un des taux de refinancement des banques. Sans succès durable.
A l'instar du président de la Deutsche Bank, Joseph Ackermann, Jean-Claude Trichet, le président de la Banque centrale européenne, a déclaré, jeudi, que "l'ingrédient principal qui manque c'est la confiance". Les craintes actuelles sont "dues pour une grande partie à l'absence de transparence suffisante sur les risques pris" par les banques, a-t-il ajouté.
L'économie est-elle en danger ? Jeudi, le Fonds monétaire international (FMI) a annoncé qu'il réviserait à la baisse ses prévisions de croissance pour 2008 aux Etats-Unis (2,8 % actuellement) et en zone euro (2,5 %) pour prendre en compte la crise financière.
La situation économique américaine, déjà en phase de ralentissement, est pénalisée. Selon l'association des banques hypothécaires, MBA, le nombre de saisies de logements a atteint un niveau record au deuxième trimestre aux Etats-Unis, et plus de 5 % des ménages américains ont eu des retards de remboursement. En outre, 35 000 emplois ont été supprimés dans le secteur financier au mois d'août. La banque Lehman Brothers vient d'annoncer 850 licenciements.
La crise des subprime se mue aussi en crise généralisée du crédit (crédit crunch). Des sociétés qui peinent à se financer, jusqu'aux crédits immobiliers et à la consommation qui risquent d'augmenter, c'est tout le système financier qui commence à se gripper.