Le virus du sida, originaire d'Afrique, s'est propagé aux Etats-Unis via Haïti vers 1969, dix ans plus tôt qu'estimé jusque-là, selon une étude publiée lundi 29 octobre, qui élimine totalement la théorie d'un steward canadien homosexuel comme source de l'épidémie.
"Haïti a été le tremplin pour le virus quand, de l'Afrique centrale, il a commencé à se propager à travers le monde", explique Michael Worobey, un professeur de biologie à l'université d'Arizona et principal auteur de l'étude parue dans les Annales de l'Académie nationale américaine des sciences (Proceedings of the National Academy of Sciences), datées du 29 octobre. Le virus mortel est probablement arrivé sur les côtes américaines autour de 1969, plus d'une décennie avant l'explosion de l'infection, et pourrait avoir été introduit par un immigré haïtien célibataire, selon ces chercheurs. Il s'est répandu ensuite au Canada, en Europe, en Australie et au Japon.
CHAÎNON MANQUANT
Cette étude confirme ce que soupçonnaient plusieurs scientifiques et remet en cause la théorie populaire du "patient zéro" qui aurait été un steward homosexuel québécois, Gaétan Dugas. Il semble plus crédible qu'un immigré ou plusieurs immigrés haïtiens soient à l'origine de l'épidémie plutôt qu'un adepte du tourisme sexuel rentrant d'Haïti, car ce pays n'est devenu une destination prisée qu'à partir des années 1970, a estimé le Dr Worobey. Les autorités sanitaires américaines n'ont pris conscience qu'au début des années 1980 qu'elles faisaient face à une épidémie. Les premiers cas de sida ont été rapportés dans la communauté homosexuelle en 1981 à Los Angeles.
L'étude semble ainsi établir le chaînon manquant de la propagation entre les Etats-Unis et l'Afrique centrale, où le virus est apparu parmi les humains vers 1930 après avoir été transmis par des chimpanzés, selon les recherches de la professeure Bette Korber du laboratoire national de Los Alamos (Nouveau-Mexique). Le virus simiesque aurait été transmis, avant d'évoluer, à des chasseurs qui consommaient de la viande de chimpanzé. Les singes sont infectés avec une variation du VIH sans jamais développer le sida, le syndrome de l'immunodéficience acquise.
PROBABILITÉ DE PLUS DE 99 %
Pour remonter aux origines de l'infection aux Etats-Unis, le Dr Worobey et une équipe internationale de chercheurs ont conduit des analyses génétiques d'échantillons sanguins de malades du sida qui ont émigré d'Haïti. Ils ont analysé les échantillons sanguins de cinq de ces migrants hatiens prélevés en 1982 et 1983. Ils ont également travaillé sur les données génétiques de 117 autres malades du sida à travers le monde. Ils ont pu ainsi établir les caractéristiques génétiques qu'ils ont comparées aux séquences génétiques de malades du sida d'autres pays. Ils en ont alors conclu, avec une probabilité de plus de 99 %, que le virus est venu d'Afrique aux Etats-Unis via Haïti.
D'autres éléments confortent cette conclusion. D'abord, de nombreux Haïtiens ont travaillé en République démocratique du Congo, l'ex-Zaïre après son indépendance en 1960, l'un des pays où la maladie était implantée depuis les années 1930. Enfin, au début du déclenchement de l'épidémie américaine, le taux d'infection parmi les Haïtiens vivant aux Etats-Unis était 27 fois supérieur au reste de la population.