M.F.C : En 2007, que veut dire «être de gauche»?
S.R. : Etre de gauche en 2007, c’est refuser l’assistanat qui humilie et considérer que le pouvoir de maîtriser sa vie ne doit pas être le privilège de quelques-uns mais un droit garanti à chacun. Faire de l’excellence environnementale,de l’égalité des hommes et des femmes, de la diversité française autant de chances pour notre pays.Vouloir, ici et maintenant, une puissance publique qui assume ses responsabilités et répondre concrètement aux préoccupations des Français. Faire le pari raisonné que l’avenir peut être civilisé. Ne pas se résigner au désordre des choses et vivre avec son temps ! Ne pas accepter que les hasards de la naissance décident de toute une vie. Ne pas croire que le marché et la recherche du profit maximum doivent dicter leur loi brutale à la politique et aux sociétés, celles du Nord comme celles du Sud. Garder une capacité de révolte intacte contre les injustices qui ne sont pas des fatalités naturelles mais les fruits amers de désordres économiques et sociaux que l’on doit corriger. Prendre la mesure de ce qui change pour mieux traduire en actes ces valeurs de fraternité, d’égalité et de justice sociale qui sont la raison d’être de la gauche.
Etre de gauche en 2007, c’est ne pas se laisser emprisonner dans de fausses oppositions qui paralysent la pensée et l’action. Par exemple : faut-il se battre dans la mondialisation ou s’en protéger ? Les deux, évidemment ! La France doit tirer parti des opportunités de la mondialisation et se défendre contre ses effets négatifs. Ou encore : faut-il des entreprises réactives ou des salariés sécurisés ? Les deux, évidemment. Il faut même comprendre que les parcours professionnels des salariés seront correctement sécurisés. Faut-il des entreprises fortes ou un syndicalisme de masse ? Les deux, car un syndicalisme fort, c’est un dialogue social rééquilibré qui, au bout du compte, renforce les entreprises alors que les conflits les affaiblissent. Faut-il plutôt prévenir ou plutôt réprimer les violences ? Il faut être ferme avec la délinquance et ferme avec les causes de la délinquance. Ni laxisme ni toutrépressif. Faut-il protéger les locataires ou sécuriser les propriétaires ? Il faut chercher les points de convergence dans l’intérêt bien compris des deux parties : c’est le but, par exemple, du service public de la caution que je veux mettre en place ou de l’attribution d’avantages fiscaux aux seuls propriétaires qui s’engagent à modérer les loyers. Je pourrais allonger la liste à l’infini car on trouve, dans tous les domaines, ces face-à-face stériles qu’une approche de gauche doit savoir dépasser en leur substituant ce que j’appelle des cercles vertueux.M.F.C : Pourquoi n’êtes-vous pas de droite ?
S.R.: J’ai envie de vous dire que c’est pour chacun, chacune d’entre nous, un choix fondateur, originaire, qui ne se réduit pas à une somme d’explications. Bon, cela dit, le projet de société de la droite n’est tout simplement pas celui que je crois bon pour la France. Je ne juge pas la sincérité ou la qualité des hommes et des femmes qui se situent à droite. Mais nous n’avons pas la même vision et, souvent, pas les mêmes valeurs pour notre pays. C’est d’ailleurs très bien comme ça : cela permet aux Français de choisir. À droite, on considère que les inégalités sont quelque chose de naturel. Si l’on a du coeur, on pense que c’est bien triste, mais qu’au fond,c’est dans l’ordre des choses. Je ne partage pas ce pessimisme social, ce respect du désordre établi, cette vénération pour le libéralisme économique et la loi du plus fort. Je veux, pour mon pays et pour le monde,d’autres règles que celles de la jungle financière. Quand la droite parle de liberté et de responsabilité individuelle,valeurs que je partage et qui ne sont ni de droite ni de gauche, elle oublie que la condition pour que chacun soit responsable, ce sont des solidarités efficaces. La droite a eu ses grands hommes, mais regardez l’histoire de France : c’est de la gauche, insoumise, populaire et imaginative, que sont venues les améliorations qui font aujourd’hui partie du patrimoine commun des Français. Ce que le général de Gaulle a fait de grand, de l’appel du 18 Juin à la décolonisation, il a dû le faire contre une culture de droite qu’il jugeait lui-même sévèrement. Il a eu à Alger, en 1943, ces mots d’une grande lucidité : « Quand la lutte s’engage entre la Bastille et le peuple, c’est toujours la Bastille qui finit par avoir tort. » La Bastille d’aujourd’hui vit l’oeil rivé sur Wall Street et le CAC 40, elle rêve de s’affranchir du code du travail et des droits de succession. Ce n’est pas ainsi que nous relèverons la France. Je crois, moi, qu’il est possible de concilier la performance économique et financière des entreprises, grandes et petites, avec le code du travail et le respect des salariés, donc pas au prix de l’écrasement des plus faibles. Je suis née dans un milieu de droite où l’on avait de solides vertus, à commencer par le sens de l’honneur et de l’effort. Je ne suis donc pas portée à la caricature. Mais je connais bien les conformismes qui empêchent d’aller de l’avant et font consentir à l’injustice. C’est avec ce fatalisme que, très jeune, je me suis efforcée de rompre. Et c’est à gauche que j’ai trouvé ce désir d’émancipation et de fraternité auquel la France doit les plus belles pages de son histoire.
Aujourd’hui, dans cette élection présidentielle, je veux rassembler largement. Tous ceux qui se reconnaissent, au-delà des étiquettes, dans le pacte présidentiel que je propose aux Français, ont vocation à me rejoindre. »