Thomas Lefebvre : Vous êtes le seul à affirmer que le gouvernement va mettre en oeuvre un plan de rigueur après les élections. Quelle est votre source ? Avez-vous un commentaire à faire sur le fait que Jean-Claude Juncker a affirmé que personne n’était au courant d’un tel plan et que “La rigueur est une marque déposée par les socialistes.” Pour être plus précis, la rigueur, c’est une marque déposée Fabius, non ?
Laurent Fabius : Merci de cette question, à laquelle je vais répondre précisément.
1) Je persiste et je signe : il y aura, si la droite remporte ces élections, un tour de vis supplémentaire et inégalitaire de la part du gouvernement. Pourquoi ? Parce que les comptes sont au rouge. Le budget de l’Etat a été présenté sur des hypothèses erronées, une croissance à 2,25 % en 2008 alors que tout le monde sait qu’elle sera au mieux de l’ordre de 1,5 à 1,7 %, ce qui fait environ 10 milliards d’euros de recettes en moins. Hypothèse erronée aussi du prix du pétrole : dans le budget un baril à 77 dollars alors qu’il est à 103. Et un euro à 1,37 euro alors qu’il est à 1,53.
Tout cela, nous l’avons dit à Mme Lagarde, au premier ministre, à M. Sarkozy, au moment du budget, ils ont fait semblant de ne pas nous entendre. Et depuis, les choses se sont aggravées compte tenu du contexte international. Donc il y a des trous partout. Le premier ministre dit : les caisses sont vides. Il serait plus juste de sa part de dire : nous avons contribué à les vider.
2) Dès après les élections, le calendrier a été fait pour que des décisions soient prises en matière de retraite, d’assurance-maladie, de revue des prélèvements publics, de choix budgétaires au cours des mois d’avril, de mai et de juin. Cette année, je signale que les mois d’avril, mai et juin viennent après mars. Si la droite remporte les élections, M. Sarkozy et M. Fillon y trouveront un satisfecit sur leur politique, et viendront annoncer qu’ils ont entendu le message des urnes et que donc ils serrent un peu plus la vis. Bien évidemment, ils ne vont pas proclamer, encore moins avant les élections, “plan de rigueur”, mais le contenu, s’ils l’emportent, ce sera bien celui-là.
3) Sur le commentaire de mon ami Jean-Claude Juncker. Je lui dirai amicalement que je comprends bien qu’à la veille de la présidence française, et quelques mois avant la désignation du premier président du Conseil européen, il cherche à ne pas être désagréable à la France, ou tout au moins à son gouvernement. Je comprends tout cela.
Mais quand l’Eurogroupe qu’il préside et auquel il fait allusion réaffirme que la France doit être à l’équilibre budgétaire en 2010, alors qu’on ne s’y dirige évidemment pas, cela signifie bien pour ceux qui connaissent les chiffres qu’il y a désaveu de la politique menée par le gouvernement, et qu’on souligne les trous qui sont à combler.
J’ajoute que notre ami M. Juncker, en ce moment, devrait être surtout préoccupé des mesures qui sont certainement à prendre pour éviter les paradis fiscaux, que ce soit au Liechtenstein ou dans un pays qu’il connaît bien, le Luxembourg, puisqu’il en est le premier ministre.
Dernier point : l’affaire de la TVA sociale. M. Fillon et d’autres disent : mais qu’est-ce que c’est que ces inventions des socialistes, et notamment de M. Fabius ? Avant chaque élection, ils nous sortent des loups-garous. Hier, la TVA sociale, aujourd’hui le tour de vis supplémentaire. Telle n’est pas la réalité. Mais au contraire ! Je rappelle, si on l’a oublié, que le premier ministre M. Fillon lui-même, entre les deux tours des législatives, avait évoqué l’hypothèse de la TVA sociale, et même chiffré son montant à + 5 % (voir la dépêche de l’AFP du 12 juin 2007). Et c’est seulement parce que les électeurs ont envoyé au deuxième tour des législatives un message négatif envers le pouvoir que le gouvernement a dû renoncer à cette hausse injuste.
Il en sera de même cette fois-ci. C’est seulement s’il y a une mobilisation forte de l’électorat contre le tour de vis qui se prépare que ce tour de vis pourra en partie être évité.